Jeudi 26 juillet 2007 à 13:15


Le chant

 

Des années ont passé, Hugues du Puy est devenu immense, une masse de muscles atroces, pleins de cicatrices. Cicatrices sur le corps, dans la tête, sur le cœur, son vieux chien est amaigri et hirsute, il bave en regardant le vide de ses yeux noirs tandis que le cheval blanc continue d'avancer, taché. Il a parcouru de nombreuses forêts, est resté longtemps dans cette grotte sombre … L'enfant, il s'en souvient, éventré gisant dans une mare écarlate sur le sol, les cheveux de sa femme entre ses mains, et ce misérable petit inconscient ignorait que ces cheveux n'étaient autre que ceux de sa propre mère. L'odeur de ses tripes, sa bouche sèche qui ne respirait plus, la boue et ces traces de bottes qui l'avaient piétiné, ses pauvres vêtements déchirés. L'odeur, la profondeur de l'entaille d'une hache, pas de jouissance, pas de regrets, une vengeance et un divorce, un exil forcé. Elle l'avait transformé en une bête envahie par la végétation, une pourriture aux cheveux gras et à l'armure rouillée, un être simiesque, une monstruosité sans nom. Des milliers d'arbres tordus, des antiques immeubles emplis d'antiques squelettes, des rats, beaucoup de rats, des cafards, des cloportes, et quelques oiseaux pigeons ou merles avec parfois un aigle perdu, un être errant qui tente encore dans un vain espoir d'être le prédateur des hordes de rats pullulant sur la planète. Un anathème avait été prononcé sur ce monde, est-ce qu'il le méritait ? Non aussi bien qu'il ne méritait en aucun cas le bonheur et la beauté, la joie et l'innocence.

« Mon amour, je reviendrai, mon bouclier est brisé mais… »

Le vieux Sam se mit à aboyer, quelque chose faisait du bruit, celui-ci divergeait et semblait s'accorder en une mélodie, c'était quelque chose de beau et d'antique, cette voix, cette chose,  de la musique cela lui rappelait sa femme la Cité Il lui manquait la musique, les véritables instruments, mais le monde était trop occupé à survivre pour pleurer ou rire des chansons de l'âge des centrales nucléaires.

Hugues s'avança vers l'endroit d'où provenait la délicieuse mélopée. Il vit un jeune homme chétif tenant entre ses mains un objet étrange d'où sortaient ces sons si particuliers. Le musicien s'arrêta net à la vue de l'étrange individu à cheval. Ses yeux dessinèrent l'image d'une peur enfantine gardée au plus profond de lui-même: celle du monstre dans le placard ou sous le lit. Il dut boire de l'air avant d'esquisser un sourire gêné à son admirateur.

« Ta voix me rappelle celle de ma femme…

_ Votre femme, dites-vous monseigneur ? Je suis flatté de ce lien féminin, il prouve la grâce et la douceur de mon timbre.

 

-J'ignorais que des hommes dans ce monde conservaient leur voix d'enfant. »

Le musicien esquissa alors un sourire amusé, il se sentait fort face au rustre à cheval qui l'interpellait, fort de sentiments puissants et d'une culture supérieure, fier de pouvoir présenter son peuple…

« Notre cité est ainsi faite, chaque homme conserve sa voix d'enfant. Nous aimons également beaucoup écrire des contes et chanter, bien que parfois viennent les temps des travaux et de la guerre. Enfance est le nom de notre refuge »

L'intriguant artiste se mit alors à fouiller dans sa poche d'où il sortit une substance étrange qu'il se mit à aspirer.

« C'est ça aussi, l'enfance ? 


_L'inconscience de la destruction monseigneur, l'inconscience qu'on vous ment, le plaisir de l'inconscience Sir…

_L'éducation et les échecs doivent punir ceci.

_Il n'existe pas de punition à Enfance.

_Les enfants n'aiment que la jalousie et la moquerie

_Visitez Enfance, nous vous y accueillons, vous verrez par vous-même »


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