Chapitre III :
Métamorphose
Soudain alors que j'étais auprès d'elle et que ma souffrance réapparaissait elle ne me vit plus, elle m'appela quelques instants puis se retira rapidement, ne cherchant pas plus. Mon corps n'était plus humain et je ne vis dans la glace de ce café qu'un masque sous une grand suaire noir, j'étais entièrement vide, sauf mon cœur machine qui demeurait sous le suaire et se mettait à battre d'un son plaintif. Le masque émettait de légers sons très subtils, des reflets argentés le traversait exprimant un sentiment en particulier… Je la vis partir, partir à jamais sans se retourner… Elle riait, elle riait ! Comme libre de ma présence, enfin libérée d'un humain qui l'avait aimé sans borne pendant quatre années sans aucun répit alors qu'elle rencontrait des individus fourbes et mauvais. Elle ne souffrira jamais de ma disparition, et mes amis ? Fantôme n'avait jamais eu de véritables amis et ceux-ci s'évaporèrent comme mon corps humain.
Je me mis à marcher dans les rues de Lille, les gens ne pouvaient pas me voir et je me sentis bien tout à coup… Je pouvais me faufiler dans la foule, éviter de croiser le regard des clochards, des jeunes femmes, des vieilles personnes, des vendeurs, des sondages, des associations humanitaires. Je me baladais, je m'approchais d'un marchand de confiserie pour sentir les odeurs du sucre de synthèse. Je m'approchais des gaufres, des vendeurs de marrons, je me penchais quelques minutes près d'un chocolat chaud. Nous étions en hiver et j'étais devenu le véritable fantôme, celui qui ne changera plus pendant des années, celui qui connaîtra le futur des hommes et des machines en les observant … Pourtant après des heures à arpenter les rues, à regarder les films et les expositions et à sentir chacune des odeurs de la ville, je me sentis incroyablement seul… Cette notion de solitude me dévora dès que je fus capable de m'en apercevoir et malgré mon bien être à ne plus subir les autres, je me déséquilibrai, il fallait que je fasse quelque chose, il fallait que je me sauve de la folie, du dérèglement total, et de la souffrance qu'elle aurait occasionnée pour les humains. Alors je me mis à courir, j'entrais dans des trains, je traversais des forêts et des champs. Mais personne ne pouvait me voir et je m'ennuyais terriblement. Je me mis à réfléchir sur ma condition, sur le fait que toute notre existence se faisait vis-à-vis des autres sans quoi nous n'étions rien.
Alors je suis rentré chez moi, là j'ai essayé de l'oublier elle et je me suis allongé à observer le plafond pendant des heures. Le jour se levait, le jour se couchait, le temps passa ainsi. Quelques heures puis quelques années dans un immobilisme total. Ma chambre demeurait intacte comme si elle n'existait plus elle aussi. Cette demeure précaire devenait mon dernier refuge mais aussi un lien avec l'extérieur efficace : Internet me permettait de me tenir au courrant du quotidien bien que personne ne me vit et ne me parla. Et puis vint le temps ou tous les livres furent lus tandis que l'Internet m'ennuyait profondément. Parfois j'eus des pulsions étranges, je courrai dans ma chambre ou me déplaçait vivement et nerveusement parfois aussi je hurlais. Et puis un beau jour je me mis à ressentir une force en moi, des pensées que mon cœur rameutait dans un dernier combat contre la machine, je sentis mon corps devenir invisible et lorsque je touchais mon visage je ne rencontrai qu'un masque qui changeait de reflet en fonction de mes sentiments : le fantôme du cœur était né.