Dimanche 19 octobre 2008 à 23:42

 

Des joies de la paternité

 

 

 Ma petite Songe jouait souvent avec sa poupée et curieusement elle semblait comme moi non tributaire du temps et non soumise au sommeil et à la nécessité de se nourrir. Elle souriait beaucoup et courait sans cesse dans la chambre, je lui racontais bon nombre d'histoires, j'en répétais certaines, je lui faisais écouter de la musique. Elle semblait ne pas se lasser de ma présence et des activités à répétition que l'on faisait ensemble. Elle me déclarait avec innocence qu'elle m'aimait et que rien d'autre n'avait d'importance.

 Après tout elle avait bien raison, les individus à l'extérieur menaient également une vie fort répétitive et cyclique, d'un triste ennui qui menait à l'explosion des divorces, aux suicides, au grisement, à l'alcoolisme, la drogue, la débauche.  Et quelques sages individus perdus dans cette masse d'amorphes qui cherchent en vain la culture suprême dans les livres, musées, films, sans jamais l'atteindre mais en oubliant parfois un instant la noirceur, le pessimisme et l'ennui de la société.

 Rien d'autre n'avait d'importance que ce rêve et que ce lien que nous partagions, ce lien indestructible, du regard de l'enfant en face d'un père fantomatique. Je me voyais encore m'imaginer dans nos rêves sortant de notre prison. Nous étions sur la route tous les deux, elle avait un poignard, moi j'étais au volant d'un vieux bus jaune américain et ensemble on allait se venger de celles qui m'avaient enfermés dans cette prison.

 Oui Songe, ma petite fille de haine , mon horreur, on allait avec la poupée Georges Sand et moi ton Musset, se venger de l'enfermement mental , de l'ennui ou nous demeurions. Accoucher de ce trop plein d'amour qui faisait battre nos cœurs à l'unisson. Nous dépecions sans ménagement le cadavre de celle qui nous ignora et nous dégoûta pour la toute première fois. Mon Dieu, pourquoi ne m'as-tu pas aimé ? Et toi qui m'as aimé, pourquoi m'as-tu quitté ? Parce que tu préférais la chèvre, puissante et indestructible, virile et invincible au lit, au poète et à l'artiste.

 Les artistes sont les pères les meilleurs du monde, de grands séducteurs, mais jamais de bons amants. Une fois passé cette fascination pour le masque et la robe noire, pour le fait qu'on soit des morts vivants dans cette société, elles s'évaporent, les sylphides, seules les filles restent. Seuls toi resteras mon enfant. Parce que tu es et demeure la fille de l'onirisme, ma Songe, ma belle petite fille aux cheveux blonds Arthurienne, ma femme solaire immuable.

 Par delà les flots de paroles et d'idées, une seule vivra, celle de la paternité imaginaire, car l'enfant qui naît d'un corps sera et demeurera toujours imparfait. On regrettera toujours ses sourires, et on ne l'aimera qu'en reconnaissant ses traits dans les siens. Oui il sera le sacrifié lors du divorce, si commun à notre société bancale ! Sur l'autel des rires et des sourires des tantes et oncles, qui lui répéteront sans cesse « comme tu as bien grandi », « quel ages a tu ? » « Ne fait pas ces études là, tu ne gagneras pas ta vie ! ». Et l'enfant magistral devenu adolescent se lèvera sur un toit, pointant son doigt vers la cité, vers le forum, droit levé, droit devant, un magistral doigt d'honneur en toute franchise.

 Songe n'a pas trop compris ce que je voulais dire, elle m'a beaucoup questionné sur tout cela, elle fut curieuse de l'extérieur, me demandant si elle pourrait elle aussi goûter aux joies de la liberté, de ne plus être mon esclave mental.

 

 Et moi je l'ai giflé, avec plusieurs vives imprécations presque bibliques, je lui ai dit « tais toi, enfant ».

 

 Je suis tombé sur mon lit, et une fois seulement, j'ai dormi, oui un sommeil trou noir sans aucun rêve, car ma réalité n'était faite que de l'illusion véritable.

Aucun commentaire n'a encore été ajouté !
 

Ajouter un commentaire









Commentaire :








Votre adresse IP sera enregistrée pour des raisons de sécurité.
 

La discussion continue ailleurs...

Pour faire un rétrolien sur cet article :
http://silence.cowblog.fr/trackback/2703031

 

<< Page précédente | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | Page suivante >>

Créer un podcast