L'enfant mort
Il était l'utopie, cette image parfaite des livres pour enfants, ayant terrassé
des monstres étranges et poursuivi brigands et voleurs. Tout brillait en
lui-même, il se sentait bon et puissant en scrutant les passants du haut de son
cheval blanc. Pourtant il ne faisait pas parti du moyen âge mais d'une espèce
de futur étrange, en quête du passé et de ses mémoires. Pour Hugues du Puy, ce
chevalier exemplaire à l'armure néanmoins pourrissante, les
antétechnochratiques étaient à l'origine du carnage de l'an deux mille deux
cent. Cette organisation était parvenue à réunir des adhérents au paganisme
ancien, des mystiques, et toute une kyrielle d'eco-terroristes et
d'obscurantistes.
Personne ici ne se souvenait vraiment de ce qui s'était vraiment passé le jour
de « l'ultime rempart de la nature » sinon qu'il y eut des milliers de morts et
que les villes furent envahies par les eaux ou par la lave.
Les mers étaient enragées, l'iode incrustant son odeur dans chaque partie de la
planète, dans chaque foyer d'habitants. Les fameux nouveaux réacteurs
nucléaires à fusions cessèrent leur fonctionnement et le monde se retrouva une
fois encore dans l'abysse du noir éclairé uniquement par les fébriles lucioles
de quelques bougies. Ceux qui avaient leurs propres réserves survécurent et
parvinrent à contempler quelques semaines encore l'information télévisée. Iter
fut assassiné comme tous les autres réacteurs dans une épouvantable anarchie.
Alors l'humanité au fil du temps finit par s'adapter et les petites communautés
se regroupèrent en fiefs autour d'un château mécanique qui n'était autre qu'un
vestige bricolé des temps médiévaux, une face grise et
poussiéreuse animée par des moulins à eau et parfois par quelques machines à
vapeur.
Hugues du Puy était l'un de ces seigneurs mécaniques à l'abri dans un ancien immeuble d'une banque dont
l'enseigne avait été effacée. Des antétechnochratiques on n'apprit rien de plus, si ce n'est que
leur ultime rempart de la nature avait fonctionné, on n'eut seulement
l'impression que rien ne fut prévu par la suite ou que les rêves de société
idéale de cette organisation ne parvinrent pas à s'imposer. Les mots « villes » et
« pollution » continuèrent à exister ainsi que les religions
qui avaient mis fin au règne du paganisme. Cependant au fur et à mesure que les
mémoires s'évanouissaient, d'antiques superstitions revinrent ainsi que des
codes de conduite depuis longtemps révolus.
Hugues du Puy était de ceux là, absolument convaincu de l'existence de monstres
et d'entités féeriques. Sa cité était pour lui une chose précieuse enfouie au plus profond de son cœur,
une chose à laquelle on tient et que l'on protège. L'anxiété du seigneur du Puy était immense, il lui arrivait
souvent de ne pas dormir, son imagination fourbissant d'idées de désastres. Il
était le spectateur de l'occupation de sa ville ou du viol de celle-ci, son
sentiment de haine et de jalousie envers les choses étrangères s'accentua
alors, et il se vit victorieux, hache et arbalète à la main, brandissant la
tête de ses ennemis par delà les
flammes. Aussi l'individu paraissait parfois ailleurs, austère, occupé à taire
ses tracas intérieurs qui tentaient d'envahir son sang. Il fit construire des
enceintes, fit planter des arbres fruitiers et ordonna à chaque habitant
d'entretenir des fleurs. Les murs, les arbres et les fleurs devinrent alors son
symbole de puissance et à leur vue Hugues
du Puy se sentait mieux, comme envoûté par l'essence florale qui flottait
parfois dans les ruelles. Mais il demeurait persuadé que quelque chose manquait
à son épouse, la cité du Puy, mais il ne parvenait pas à comprendre exactement
quoi. Peut-être que cette crainte du manque provenait de son imagination et de
sa perpétuelle anxiété, de ce trouble étrange qui le prenait au cœur chaque
fois qu'il partait en exploration avec quelques autres chevaliers, s'éloignant
d'elle. L'idée d'une erreur et d'une différence entre sa ville et lui le mirent
dans un état léthargique, son sang se chargeant d'images et de projets et puis il y eut l'incident… Il vit ce petit être, que l'enfance rendait cruel, arracher quelques fleurs et ce geste
fut pour lui une remise en cause de son épouse, c'était comme si quelqu'un lui
arrachait ses cheveux jusqu'à la racine et jusqu'au sang. Pire encore c'était
s'approprier l'essence même de son épouse, de l'arracher à ses propres veines,
de s'enfuir avec et d'en rire au nez du mari trompé. Hugues se mit à fixer
droit devant lui d'un regard perdu, errant mais empreint de quelque chose de
fort et grand, d'un amour démesuré et détraqué , un regard à l'image de son
temps, celui des châteaux mécaniques… Et puis il chargea l'enfant, le prit par les cheveux et se mit à les lui arracher en pleine rue,
il lui lacéra les tripes et les répandit sur les pavés piétinant ensuite les
restes du petit corps sans vie. Il prit les fleurs entre ses mains, se plaça à
genoux dans le sang, et il se mit à pleurer, sa chère épouse la Cité
qu'il avait tant voulu protéger, on lui avait fait mal et elle souffrait, elle
l'appelait à l'aide et lui était arrivé trop tard. Elle ne pouvait que lui
susurrer cette peine passée et lui ne pouvait être que spectateur, se
rattrapant de ce manque par la terrible Némésis qui l'avait habité en tuant
l'auteur de ce mal. C'est alors que son épouse, devant tant de violences, eut
peur de son mari. Elle décida donc de l'emprisonner puis de le
faire exiler, en soit elle rompait, c'était terminé et s'il espérait la revoir,
la
Cité le tuerait et alors, jamais plus il ne pourrait
la défendre et la contempler. Hugues du Puy devint célibataire, en vérité il
était devenu un exilé, une loi qu'il avait crée lui-même pour éviter d'avoir à
tuer ou à tenir une prison qui laissait dans le sein de sa femme le lait croupi
de la criminalité. Il se fit appeler Huguesl'Errant et se mit en quête
d'un goût, d'un visage, d'une senteur qui quelque part ressemblait à ceux de son ancienne femme. Il se fit
pour cela accompagner d'un grand chien,
de son cheval blanc et d'un corbeau qui savait dire bonjour.