Le gouvernement d'enfance
Un chant pourtant si frais, si léger, si humain. Une profondeur, de la passion et un cœur étaient pourtant présents dans la mélodie qui était parvenue aux oreilles d'Hugues.
Mais tout ceci n'était qu'une vaste trahison et ce chant était celui d'un enfant. L'enfant qui sait déjà mentir et manipuler avec forces de regards innocents et de gémissements. Et lui l'hirsute, l'abominable, le chevalier. A Enfance beaucoup de petits garçons voulaient devenir chevalier, cependant tout ceci ne devait rester qu'un rêve. Jusqu'à leur vieillesse ils penseraient à ce songe sans jamais pouvoir l'accomplir. L'enfance éternelle, l'illusion éternelle, un rêve figé et malsain. Et ces quelques vieillards persécutés pour avoir affirmé que leur maturité était un retour en enfance. Un retour épuré de tout, ne se consacrant
qu'à la musique et aux sourires, un retour s'enracinant sur des bases solides de valeurs et de vertus. L'enfance de l'adulte était néanmoins interdite dans cette cité, c'était la marque des étrangers et des voyageurs. Les enfants sont les pires tyrans au monde…
Le vieux Sam devançait son maître, assis sur son destrier. Hugues entra alors dans le siège de l'autorité officielle d'Enfance. L'endroit était rose, rouge et vert avec des tapis disposés n' importe où. Il y avait là un couloir qui paraissait immense et des lustres qui se balançaient en un rythme hypnotique. Un ensemble de vingt trônes noirs
achevait cette déambulation interminable. Les conseillers arboraient une robe de bure jaune cramoisi ainsi qu'un chapeau de bouffon noir et blanc, la tête droite, ils dévisageaient d'un air sombre l'étranger que venait leur présenter l'adorable musicien. Parfois, cependant, l'un d'entre eux ne pouvait s'empêcher de tourner la tête, les grelots de son chapeau teintaient alors dans un bruit qui allait titiller les oreilles du chevalier. Certains se mirent à éclater de rire lorsque Hugues approcha, créant alors une euphorie
cacophonique à l'aide de leur couvre-chef.
C'est alors que le musicien s'avança pour prendre la parole :
« Ô chers élus, permettez moi de vous présenter cet étranger en armure, permettez moi de lui dévoiler la puissance de notre cité ainsi que ses secrets les plus inti…
-J'exige qu'il descende de sa monture et qu'il soit la mienne pour la journée ! » S'écria un conseiller.
De grands rires s'échappèrent de l'assemblée mais cependant certains n'y répondirent pas, demeurant de marbre. On pouvait voir dans tout ce beau monde des moqueurs, des fous, des curieux et d'autres encore complètement épouvantés par la figure de cet
étrange chevalier qui ne ressemblait pas à ceux des contes. Cependant un individu d'un certain âge se leva, explorant le physique d'Hugues en lui apposant un regard curieux qui masqua une fraction de seconde son habituelle essence chatoyante de déraison. Celui-ci se mit alors à mettre sa main dans sa bure, fouillant frénétiquement, il en sortit des carrés de chocolat et se mit à en lancer sur Hugues. L'inquiétant vieillard continua ce manège ridicule pendant une dizaine de minutes jusqu'à qu'il ne trouve plus aucune friandise. Il se mit alors à cracher par terre en insistant sur l'onomatopée accompagnant le geste. Ceci fait, il se dessina sur son visage le sourire d'un bon grand père et il se mit à parler en ces thermes :
« Comment tu t'appelles sale adulte trop grand !
-Hugues l'errant.
-Quel âge tu as ?
-J'ai trente trois ans.
-Eh mais c'est l'âge du petit Jésus ! Aa ha ! Enfin, euh, quelles sont tes passions ?
- Mon amante, le sang, le fer, les fleurs, le chant du vent dans les arbres morts.
-Dit dit, tu as un blason, un symbole ?
-L'épée, la hache et le charbon.
-Tu crois en quelque chose ?
-L'Amour, la nature…
-Bieeeeeeen cela suffira ! Enfermez le ! Enfermez le !